Le président réalise enfin que l'on ne peut pas traiter les problèmes du monde du travail au cas par cas, son Premier ministre, Paul Kaba Thiéba, a fini par avouer son impuissance et celle de son gouvernement face à la crise dans le secteur de l'éducation et partant, face aux attentes sociales de changements dans la gestion publique. Pendant ce temps, le climat sociopolitique est alourdi par une atmosphère d'insurrection permanente tant au niveau local que national. Il faut une thérapie de choc à même d'apaiser dans l'immédiat le quotidien désespérant et les craintes de lendemains catastrophiques chez bien des Burkinabè qui voient leur horizon s'assombrir chaque jour un peu plus. Le seul médecin capable de sortir cette thérapie magique, c'est bien le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Il en a encore la légitimité et les moyens légaux. Il lui reste la vision, la clairvoyance, le courage, les hommes et les femmes capables de l'aider à concevoir et administrer cette thérapie tant attendue par ses concitoyens. Saura-t-il saisir le peu de chance qui lui reste pour rassurer ses concitoyens et apaiser le front social ?
Dans notre édition N°214 du 15 au 31 mai 2017, nous écrivions ceci : « Le mercure social continue de monter. L'administration publique est progressivement plombée par des grèves perlées. (...) Les syndicats des différents corps sont presque tous décidés à arracher du gouvernement le maximum de concessions. A qui la faute ? Sans doute au gouvernement qui a ouvert la boîte aux pandores avec les magistrats et qui malheureusement ne semble pas encore avoir tiré les leçons de cette faute politique lourde (de conséquences). Le gouvernement continue de chercher à régler les problèmes des travailleurs au cas par cas. Pourtant, la situation a atteint un seuil critique et doit amener les plus hautes autorités à une analyse froide et sans complaisance des revendications de tous les syndicats et autres partenaires sociaux ; les mettre en relation avec les capacités de mobilisation des ressources de l'Etat et en perspective avec les défis à relever pour améliorer sensiblement les conditions de vie de la grande majorité des Burkinabè. Ensuite, il faut ouvrir un dialogue franc et transparent avec les syndicats de tous les secteurs sur les possibilités dont dispose l'Etat. Il s'agit, dans un tel dialogue, de rassurer les syndicats et tous les autres partenaires sociaux avec des données réelles et concrètes, de la volonté et des efforts réels du gouvernement pour offrir de meilleures conditions de vie et de travail à tous ».
C'était au moment du bras de fer qui opposait le gouvernement aux syndicats du ministère de l'Economie et des Finances, notamment des agents du Trésor. Finalement, le gouvernement s'est entêté et a trouvé un accord avec lesdits syndicats. Et ce qui devait arriver arriva. Le secteur qui contient le plus gros effectif d'agents publics, à savoir l'éducation, est désormais secoué par des luttes syndicales. Là, le Président Roch Kaboré semble enfin vouloir sortir de son long sommeil. Il se rend compte de ce qui était évident, avant même son accès au pouvoir : les problèmes de l'administration publique ne peuvent pas être résolus au cas par cas. Mais tout porte à croire qu'il n'a toujours pas pris la pleine mesure de l'ampleur des problèmes. Ces problèmes ne se limitent pas à la question des rémunérations. Ces problèmes de l'administration publique ne sont que des manifestations parmi tant d'autres, de la crise de l'Etat et de la gouvernance. En ne voyant que les aspects financiers et leurs conséquences sur le budget de l'Etat, le gouvernement s'embourbe dans le jeu de calculs où il aura du mal à s'en sortir. Même s'il arrive à trouver un accord ou une solution à travers la mise à plat annoncée des rémunérations dans la Fonction publique en février prochain, il risque juste de calmer les symptômes au lieu de soigner le mal.
Encore une sortie de route du Premier ministre !
Pour une fois, nous sommes d'accord avec le Premier ministre PKT, lorsqu'il affirme : « Vous pouvez enlever Thiéba du gouvernement pour mettre qui vous voulez, ça ne changera pas le problème du Burkina Faso. Même si c'est un sorcier, ça ne changera rien. Les problèmes seront toujours là. Ce qui est important, c'est la politique qui est mise en œuvre. Ce ne sont pas des questions de personne, mais de vision, de politique ». Acculé par les caciques du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le parti au pouvoir, et une bonne partie de l'opinion qui estiment qu'il n'est pas l'homme de la situation, il a saisi opportunément de sa conférence de presse pas si opportune que ça, le mercredi 10 janvier dernier, pour laisser exploser son agacement. Le problème ce n'est ni lui, ni son gouvernement. Lui et ses ministres sont excellents. Le problème du Burkina, c'est l'héritage des 27 ans de Blaise Compaoré.
Malheureusement, une fois de plus, il a montré qu'il n'avait toujours pas la maîtrise des réalités du terrain sociopolitique et ses exigences. Les Burkinabè étaient conscients des pannes de la gouvernance de Blaise Compaoré. C'est pourquoi ils ont refusé qu'il instaure un pouvoir monarchique et l'ont fait fuir en plein midi. Cette sortie inopportune aggrave le sentiment général selon lequel le PM n'est pas à la hauteur des défis actuels du Burkina Faso pour plusieurs raisons.
D'abord, sur les problèmes de l'éducation, PKT n'apprend rien aux Burkinabè. Les Burkinabè connaissent déjà l'état de leur système éducatif, victime d'une part, des politiques aventuristes de massification des infrastructures et des effectifs au détriment de la mission de formation de qualité de l'élite de demain, et d'autre part, une démission progressive des acteurs à tous les niveaux (parents, enseignants, gouvernants, etc.). Tout le monde a assisté, par une complicité active ou inactive, à la destruction du système éducatif depuis le préscolaire jusqu'au supérieur. Mais au fond, ce n'est pas seulement le système éducatif qui a été détruit. C'est la société dans son ensemble qui a été éclaboussée par le système politique de la prédation, des compromissions et des injustices sociales des 27 ans de règne de Blaise Compaoré. Et il n'est pas superflu de rappeler au PM que son patron, le Président Kaboré, est aussi comptable de cet héritage désastreux qu'il se plaît à rappeler à tout bout de champ. Justement, ce que les Burkinabè attendent, c'est que le gouvernement qu'il dirige opère la rupture d'avec ce système et ses conséquences sur tous les secteurs de la vie publique nationale.
Ensuite, en proclamant que la satisfaction de la plate-forme revendicative des syndicats de l'éducation évaluée à plus de 50 milliards par an est au-dessus des possibilités de l'Etat, PKT montre, sans se rendre compte, que lui et son gouvernement n'ont pas de grandes ambitions pour l'école burkinabè. Que représentent 50 milliards si effectivement, ils doivent permettre de résoudre les problèmes d'un secteur aussi vital que celui de l'éducation ? Comme il l'a dit lui- même, le problème de fond, c'est la vision. Quelle est la vision de son gouvernement sur l'éducation ? C'est à peine s'ils ne veulent pas se satisfaire du système en l'état. Comment compte-t-il venir à bout de cette crise ? Il ne fait aucune proposition, sauf qu'il est ouvert au dialogue.
Par ailleurs, le PM affirme avoir été surpris par la grève et les sit-in alors que les syndicats ont publiquement annoncé à coup de conférences de presse, de déclarations et autres interviews dans la presse depuis décembre 201 7, qu'ils allaient en grève et ont maintes fois rappelé que les mots d'ordre de grève et de sit-in étaient maintenus. La coordination des syndicats de l'éducation a même affirmé que son gouvernement n'avait pas encore fait des propositions pouvant les inciter à surseoir à ces mots d'ordre. Si après tout cela, le PM est surpris pendant que tout le pays est informé, il y a des raisons évidentes de s'inquiéter et d'affirmer qu'il n'est pas l'homme de la situation. Il ne serait pas étonnant qu'une fois de plus, les syndicats décident de négocier directement avec le président du Faso.
Enfin, le Premier ministre, par cette sortie, n'a fait que provoquer une polémique inutile au sein de l'opinion et exacerber la colère des syndicats de l'éducation qui estiment que cette sortie est une tentative désespérée de les livrer à la vindicte populaire. Du reste, les syndicats estiment que le gouvernement ne leur avait jamais fait part des évaluations chiffrées de leur plate-forme. Ils affirment d'ailleurs que les 50 milliards annoncés par le chef du gouvernement ne correspondent à rien du tout dans leur plate-forme. Pourquoi avoir choisi de communiquer ces chiffres à l'opinion publique nationale avant même les premiers concernés ? PKT confirme ainsi les inquiétudes de ceux qui estiment que ce gouvernement a de sérieux problèmes de communication.
Finalement, cette énième sortie de route du PM donne raison à Emile Paré qui estime que son gouvernement est trop « frileux, flottant et composé d'aveugles politiques ». Le Président Kaboré doit en tirer les conséquences. Mais il ne s'agira pas seulement de changer les hommes, car comme l'a dit PKT, ce n'est pas une affaire de personne (quand bien même c'est discutable). Il s'agit surtout de la vision, de la mission assignée aux hommes. C'est seulement après ça que la qualité intrinsèque des hommes va compter.
Roch Kaboré ne doit pas oublier ce qui lui a permis d'être président
La crise dans le secteur de l'éducation a remis sur la table le véritable problème du Burkina : la crise de l'Etat et de la gouvernance. C'est cette crise qui est à la base de l'insurrection populaire d'octobre 2014. C'est donc elle qui a permis à Roch Kaboré de devenir président du Faso. L'exacerbation des conflits sociaux à travers les multiples grèves dans presque tous les secteurs n'est qu'un indicateur de cette crise de l'Etat et de la gouvernance. L'Etat est aujourd'hui incapable de s'affirmer comme le garant de l'intérêt général et ses institutions sont perçues comme des instruments de récompenses politiques et de partage de pouvoir et des ressources entre des acteurs politiques (pas toujours talentueux) et leurs réseaux familiaux ou d'affinité ou encore mafieux. Le divorce est pratiquement consommé entre une bonne partie du peuple et l'Etat. La promesse de rupture semble, chaque jour, s'éloigner davantage et fait place à l'ancrage de la mal gouvernance et du pilotage à vue de l'action publique. L'on nous dira qu'en deux ans de pouvoir, des acquis importants ont été réalisés dans bien des secteurs, notamment les infrastructures socioéconomiques, dans le secteur de la santé et de l'éducation. Mais ces acquis resteront comme un coup d'épée dans l'eau, tant qu'ils ne sont pas accompagnés par des réformes en profondeur des institutions en vue de redonner à l'Etat toute la légitimité indispensable à la régulation de l'exercice des droits et des obligations des citoyens, individuellement et collectivement. Le rétablissement de la confiance exige une refondation totale de la gouvernance pour la rebâtir sur une nouvelle approche de l'action publique et une nouvelle façon d'exercer le pouvoir d'Etat.
Dans notre édition n°215 du 1erau 15 juin 201 7, nous relevions déjà que « le contexte socioéconomique national exige des plus hautes autorités une thérapie de choc avec des mesures immédiates pour soulager le plus grand nombre de travailleurs mais surtout des propositions de réponses structurantes pour changer, à moyen et long termes, leurs conditions de vie. Curieusement, celles-ci ont fait le choix de résoudre les problèmes au cas par cas. Pourtant, chaque catégorie sociale à ses problèmes spécifiques. Il n'est pas possible d'aborder les problèmes de tous les Burkinabè au cas par cas ou par groupes spécifiques. Après les syndicats, il faut penser aux étudiants, aux jeunes sans emploi, aux femmes démunies, aux retraités et autres personnes âgées sans soutiens, aux paysans, au secteur privé, etc. Même en 5 mandats, il sera impossible de négocier avec toute la diversité de la communauté nationale au cas par cas. Si l'on n'y prend garde, l'on risque de renforcer la division de cette communauté entre d'une part, les privilégiés dont les préoccupations font échos dans l'action gouvernementale et les laissés-pour-compte ou les oubliés de la République. Malheureusement, ces derniers constituent la majorité silencieuse mais capable d'une révolte incontrôlable.
Justement, cette majorité frustrée et abandonnée peut devenir une véritable bombe sociale dont il faut éviter, à tout prix, l'explosion ». Et nous concluions qu' « Il est urgent d'apaiser le front social, d'ouvrir une nouvelle fenêtre d'espoir pour la grande majorité silencieuse qui broie du noir en attendant la prochaine révolte bruyante ou la prochaine insurrection (certains en rêvent déjà). L'heure n'est plus aux discours et aux déclarations d'intention. On a trop entendu ça. Il faut « jouer d'autres sons », pour emprunter l'expression aux jeunes. Le Président Kaboré doit définitivement arrêter de reproduire les tares du système Compaoré ». En somme, il ne doit pas oublier ce qui lui a permis d'être président.
Pour ouvrir cette fenêtre d'espoir, le président du Faso doit se saisir de l'opportunité qu'offre le passage à la 5e République, à travers l'adoption prochaine de la nouvelle Constitution pour proposer un dialogue national ouvert et inclusif de l'ensemble des composantes sociales et politiques pour une reconstruction collective du vivre ensemble autour d'un nouveau pacte républicain. Il ne s'agit pas de ce dialogue à la Blaise Compaoré qui permet de partager les postes et les prébendes et couvrir d'impunité les manquements de certains acteurs politiques. Mais un dialogue où chacun assume ou est mis face à ses responsabilités. Le nouveau pacte républicain devrait donner à chaque citoyen et chaque groupe de citoyen la place qui lui revient tout en lui rappelant ses responsabilités face à la société. Il doit en outre proposer les fondations d'une nouvelle administration publique soumise à des obligations de résultats avec des conditions de promotion des cadres reposant sur le mérite, l'efficacité, la transparence et l'intégrité. Il doit également sanctionner avec fermeté, les manquements et autres écarts avec l'éthique de la gestion publique à tous les niveaux de responsabilité.
La question essentielle aujourd'hui est de savoir s'il est possible d'espérer une telle fenêtre avec le Président Kaboré, son parti et ses alliés politiques. Beaucoup de Burkinabè n'y croient plus. C'est à eux de prouver, à travers des actes concrets, qu'ils se trompent. L'année 2018 est peut-être celle de la dernière chance pour changer de cadence. S'ils persistent dans l'autosatisfaction des quelques rapiéçages sectoriels, ils vont définitivement enterrer le rêve du renouveau avec ce que cela implique de persistance des mouvements sociaux, des défiances de l'autorité de l'Etat, de l'incivisme et de la mal gouvernance. Il ne sert à rien de crier à la déstabilisation, quand bien même il y a des signes évidents que certains acteurs politiques cherchent à profiter de la situation. Si le Président Kaboré et son gouvernement parviennent à ouvrir cette fenêtre d'espoir, ils couperont l'herbe sous les pieds de ceux qui cherchent soit à restaurer l'ordre déchu, soit à accéder au pouvoir par des raccourcis soit encore par une nouvelle insurrection populaire. La stabilité politique et institutionnelle a un prix. Ce sont des réponses concrètes aux fortes attentes de changement dans la gouvernance quotidienne de l'Etat afin d'assurer à tous la sécurité, le pain, l'éducation de leurs enfants, la santé et la liberté.